novembre 24, 2016 - Commentaires fermés sur DUBLIN… premières rencontres
DUBLIN… premières rencontres
Novembre 2016. Suite à une belle rencontre avec le responsable du service des migrations qui a été très ouvert au projet, je suis allé rencontrer les réfugiés des Centres de Premier Accueil de Couvet et de Tête de Ran, à moins d’une demi-heure de chez moi.
A Tête de Ran, le centre de premier accueil remplace un hôtel-restaurant où l’année dernière encore, j’avais l’habitude de manger des tartes après une ballade en raquettes.  C’est la première fois que je m’y rend depuis. Il a neigé, il fait froid. Il n’y a personne dehors. A l’intérieur, dans hall style chalet d’architecte triangulaire 70’s, c’est très calme. Première surprise : des affiches de « casting de film» clipart de clap en bannière annoncent mon arrivée dans tous les couloirs. Mais… il n’y a presque personne. Je croise un jeune homme qui m’indique les bureaux.
L’openspace administratif est immense et flambant neuf. Je suis accueillie avec un sympathique café par la partie de l’équipe qui n’est pas en pause de midi… L’équipe de responsables, dont la moyenne d’âge doit se situer entre en dessous des 35 ans, m’explique que c’est l’heure où les résidents sont souvent dans leur chambre ou sont partis en ville. Le centre est isolé, un minibus leur permet d’aller à la gare des Geneveys deux fois par jour. L’équipe est toute neuve, comme le centre, mais semble déjà bien soudée. « Faut bien, c’est pas évident tous les jours de gérer autant de monde d’autant de cultures différentes ». Ils m’emmènent dans le réfectoire, incitant au passage plusieurs résidents à faire passer l’info. Ils connaissent le prénom de chacun et jonglent admirablement entre le mode cool et le mode responsable : les résidents ont leur âge…
La salle est pleine. Ce ne sont presque que des hommes.
Deuxième surprise: je m’attendais à rencontrer des Syriens, des Irakiens, des Erythréens… je fais presque le tour du monde en moins de 10 poignées de mains! Il n’y a pas plus efficace pour faire prendre conscience qu’un conflit ne s’arrête pas quand on cesse d’en parler dans les médias. Pas plus efficace pour vous remettre en douceur, mais avec fermeté, la réalité dans la tronche. Dans les pays en guerre civile médiatiquement démodés,  les chasses aux sorcières sont des rondes qui changent de sens à chaque prise de pouvoir et les comptes se règlent bien longtemps après les signatures de traités… Pas plus efficace non plus, pour vous rappeler qu’ailleurs, écrire un simple article comme celui-ci qui peut vous mettre des années en prison, quand ce n’est pas l’internement forcé ou simplement la pendaison. Un ailleurs qui change, qui se rapproche, qui nous rappelle qu’on est, nous non plus à l’abri de rien. N’est-ce pas chers amis Américains ?
On le sait tout cela. De loin. Et ça ne date malheureusement pas d’hier. Mais quand on rencontre les gens qui en sont directement victimes, c’est une toute autre Histoire… surtout quand ils ont presque tous mon âge, qu’ils ont les mêmes fringues et les mêmes smartphones… Des garçons et des filles qui pourraient être nos potes si on avait grandi dans la même région du monde. Ils sont étudiants, DJ, maçon, femme au foyer, garagiste, agriculteur, esthéticienne … Pas très difficile de se mettre à leur place…
J’essaie de noter tant bien que mal les prénoms (ou les noms?) farsi, kurdes, tamoul, éthiopiens, des gens intéressés par le projet.  Au total plus d’une dizaine, tous des hommes.
Je repars, la tête pleine de ces nouvelles rencontres et l’enthousiasme d’un projet qui prend corps…
J’arrive au centre de Couvet. Autre ambiance.  La porte est ouverte. Deux jeunes érythréens avec des baudriers fluo encadrent des enfants pour les emmener à l’école de l’autre côté du village. A l’entrée, trois grosses dames africaines sont entrain de préparer les produits de nettoyage pour laver le réfectoire en rigolant. Une volée de gamins multicolores m’accompagne jusqu’aux bureaux : un couloir d’immeuble locatif des années 80, flanqué de chambres transformées en bureaux. Aux murs gris déprimants, l’équipe a placardé des tableaux colorés, des dessins d’enfants et des dizaines de photos des résidents prises lors des quelques sorties organisées par le centre. Un immense « MERCI » entouré de deux gros cœur remplis au stabylo rose a pris toute la place sur le panneau des informations. Toutes ces bonnes ondes me guident vers l’équipe qui me reçoit chaleureusement. Mais, il ne faut pas s’y tromper. « Si on fait ce qu’on peut pour égayer les choses en mode système D, c’est que les vies qui échouent ici sont souvent très difficiles ». Geneviève Felhbaum-Lahm, une femme dynamique aux yeux rieurs de la cinquantaine, m’emmène à la salle de cours de français. C’est là qu’elle a organisé une rencontre avec des résidents intéressés par le projet.
Il y a un mécanicien érythréen, toute une famille afghane et même… un jeune kurde réalisateur! Quelle chance ! J’essaie de lui expliquer que j’aimerais lui proposer de participer dans l’équipe technique ou de réalisation, mais l’enthousiasme s’éteint rapidement : il ne parle ni anglais, ni français et je ne parle ni turque ni kurde… sans traducteur, nous nous retrouvons donc dans l’impossibilité très frustrante de pouvoir nous comprendre, même sur des choses très simples. Et, étant donné les deadlines du projet, il serait trop compliqué et coûteux de mettre en place une traduction simultanée permanente pour travailler ensemble. On constate donc tous les deux que nous sommes dans une impasse. Comme il ne veut pas jouer  les comédiens, il n’y a plus rien à faire que se dire au revoir. Ou du moins, « à la prochaine ». Qui sait ?
Si la famille afghane parle encore très peu français, grâce à l’aide de leurs 4 enfants qui ont plus rapidement progressé, et à Omid, un autre résident arrivé depuis 11 mois, on arrive à communiquer un petit peu.
Zahra, la mère des 4 enfants, dont deux ados de 15 et 16 ans, a mon âge… elle était donc enceinte de sa première fille à l’âge de 17 ans. Je commence à comprendre qu’on a beau tous avoir un compte what’sapp bourré de photos de potes en mode selfies, sous les apparences, on est très loin d’avoir la même vie…
Une vie pleine de projets ou de projets impossibles à cause de différentes raisons politiques qui les ont poussés à partir. Non pas juste pour « migrer » et tenter leur chance dans un pays économiquement plus intéressant, comme on essaie de nous le faire croire si souvent, mais pour simplement sauver leur peau, leurs familles et leur avenir…
Je constate en discutant avec eux que l’histoire fictive que j’aimerais raconter leur parle beaucoup et qu’elle est effectivement, malheureusement, documentaire…
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